J'ai
répondu récemment aux questions de la consultation nationale pour
l'élaboration d'un nouveau socle commun disponible en ligne à cetteadresse. Il n'est pas besoin de lire entre les lignes pour deviner
l'orientation que prendra le contenu final de ce fameux socle !
Le
questionnaire comprend une partie importante sur l'évaluation. C'est
très curieux car la définition d'un socle de connaissances (et de
compétences!) peut se faire sans parler d'évaluation. Les
concepteurs du questionnaire ont donc fait d'une pierre deux coups en
glissant dans cette consultation la dernière marotte à la mode, à
savoir la suppression des notes jugées « traumatisantes ».
Voici deux questions qui vont dans ce sens :
« Je
trouve que la note chiffrée ne donne pas assez d'indications sur ce
qu'un élève sait et ne sait pas faire. »
« Les
notes et les moyennes ne constituent pas une bonne base de dialogue
avec les familles. »
Comme si
l'évaluation d'une copie se limitait à la seule note figurant en
en-tête. Une copie est toujours assortie de commentaires qui
signalent à l'élève et sa famille les points à revoir.
« Je
trouve que la note chiffrée est un moyen simple de situer un élève
par rapport aux autres élèves de la classe. »
Cela
fait belle lurette qu'il n'y a plus de classement entre élèves !
Les notes servent essentiellement à situer le travail de l'élève
par rapport aux compétences et connaissances des programmes
scolaires.
« L'évaluation
doit permettre de trier les élèves afin de les orienter
correctement. »
Le verbe
« trier » est pour le moins tendancieux. C'est étonnant
pour une consultation élaborée par un ministère qui promeut le
« politiquement correct ». Les élèves ne sont pas de
wagons dans une gare de triage et personnellement, je ne les ai
jamais considérés comme tels. L'orientation est souvent décidée
en dernier ressort par l'élève et sa famille après proposition des
conseils de classe.
« L’évaluation
doit susciter l’engagement et la confiance des élèves. »
Question
étrange ! Nos élèves ne seraient pas « engagés »
et « confiants » dans nos évaluations ? Ils ne les
prennent peut être pas (ou plus) au sérieux... Les plus astucieux
ou les plus paresseux ont compris que leur progression dans la
scolarité jusqu'au bac est souvent indépendante de leurs résultats
scolaires. On passe aisément en appel de la classe de troisième en
seconde générale avec 8/20 de moyenne et de même de seconde en
première. Et pour avoir cette moyenne, il n'est pas nécessaire de
se fouler un neurone avec les très faibles exigences de programmes
scolaires actuels, ou plutôt du « socle » actuel.
« L’évaluation
doit reconnaître le droit à l’erreur, s’intéresser autant au
processus d’apprentissage qu’à la performance. »
Le
« droit à l'erreur » est déjà pris en compte par la
multiplicité des évaluations qui permet le « rattrapage »
d'une mauvaise note. En revanche, l'éducation nationale ne favorise
pas vraiment le droit à l'erreur en matière d'orientation lorsqu'un
élève souhaite quitter l'enseignement général pour l'enseignement
professionnel. Le manque de places et la priorité accordée aux
sortants de troisième ne favorise pas vraiment les réorientations.
Le changement de voie est mal vu une fois entré dans une filière.
On est prié de ne pas en sortir et d'aller jusqu'au bout !
Quant à la performance, l'école française est bien le dernier
endroit au monde où il n'est plus question de performance ! Il
est d'ailleurs très étonnant que l'école française participe
encore aux évaluations internationales type PISA de l'OCDE !
Mais c'est bien connu, vu de France, c'est le monde entier qui est
dans l'erreur.
« Il
est possible d’évaluer la curiosité et les goûts d’un élève. »
Cela se
fait très facilement ! Il suffit de regarder leur attitude
pendant nos cours, pas besoin d'évaluation. Dès l'instant où l'on
demande un peu d'investissement dans nos activités en classe, la
motivation de beaucoup d'élèves font comme neige au Soleil...
Le plus
révélateur du questionnaire se trouve dans la dernière question :
« L’évaluation
doit reposer sur des échelles de niveaux de compétences comme
celles qui existent par exemple dans le CECRL pour les langues
vivantes (de A1 pour les utilisateurs élémentaires en niveau
introductif jusqu’à C2 pour les utilisateurs expérimentés –
maîtrise). »
Tout est
dit ! Hormis l'acronyme abscons CERCL dont les collègues de
langues étrangères doivent seuls connaître la signification, le
but du questionnaire est donc bien de vanter les mérites de
l'évaluation par compétences sous forme de grilles et de tableaux à
remplir. Avec pour objectif de gonfler les notes, si toutefois le
remplissage de ces usines à cases donnent lieu à l'attribution
d'une note finale. Voilà qui nous promet un surcroît de travail
pour faire figurer explicitement toutes les compétences évaluées
dans nos devoirs sans que cela aide forcément les élèves à
progresser dans leur travail, du moins ceux qui le souhaitent encore.