Voici
une lecture distrayante en ces journées pluvieuses d'automne :
le récent rapport du CNIRE, le conseil national de l'innovation pour
la réussite éducative. Je me suis peu penché sur la partie
« innovation » au début, où il n'est question que
d'évidences déjà en oeuvre et, en la matière, l'innovation vient
rarement « d'en haut » mais essentiellement des pratiques
pédagogiques que les collègues mènent dans leurs classes.
C'est
surtout le paragraphe III intitulé La fabrique de l'engagement :
une école bienveillante qui retient l'attention. Les
sous-parties nous annoncent successivement :
_
Installer la bienveillance dans le système éducatif. Malgré
les apparences, elle ne doit pas l'être suffisamment car voici le
diagnostic qui est présenté dans le rapport :
« De
ce point de vue, l’idée de la bienveillance s’est imposée : la
bienveillance est la condition nécessaire à l’engagement mais
aussi à l’efficacité de l’école. La bienveillance commence
avec la suppression de la tendance inscrite dans des fonctionnements
et des attitudes qui consistent à sanctionner mais aussi à
dévaloriser et à invalider. Au-delà de l’échec, il faut
prendre au sérieux les témoignages récurrents des élèves sur
le sentiment d’avoir été à telle ou telle occasion «
humiliés par l’Ecole ou les enseignants ». » Ce
constat semble singulièrement daté ! Je n'ai jamais connu de
tels cas d' « humiliation » depuis le début de ma
carrière dans toutes les instances des établissements où je suis
passé et ils furent nombreux.
L'école
bienveillante est pourtant une évidence depuis plus de 30 ans avec
la massification de l'enseignement secondaire. Il a bien fallu se
montrer bienveillant, voire laxiste, pour permettre à des élèves
qui n'avaient pas le niveau requis de passer de classe en classe et
de cycle en cycle dans l'enseignement général.
Les
rapporteurs sont incapables de faire des propositions concrètes sur
cette introduction de la bienveillance car ils suggèrent de la
demander aux équipes pédagogiques pour la rendre « explicite » !
Commençons par mettre un calicot à l'entrée de nos établissements
pour signaler « ici école bienveillante ». Ou porter un
badge des bisounours. Soit dit en passant, il faudra expliquer aux
parents en situation irrégulière en France et dont les enfants sont
scolarisés sans conditions et sans papiers pourquoi le ministère de
l'Intérieur n'est pas bienveillant avec eux comme celui de
l'éducation nationale... Il faut exiger que les autres ministères
se montrent bienveillants avec tous les usagers : Justice,
police, impôts... Ces propos valent aussi pour les entreprises :
Nos élèves ne comprendraient pas pourquoi le monde du travail se
montre si peu accueillant et bienveillant avec eux !
On nous
annonce plus loin que « les emplois du temps et les missions
doivent comporter des temps spécifiques de concertation ».
En plus des heures de cours ? Cela va sans dire, mais avec une
rémunération supplémentaire ? Rien n'est moins sûr au vu de
la redéfinition des services qui entrera en action à la rentrée
2015 dans laquelle il est prévu des tâches supplémentaires à
celles d'enseignement.
Enfin,
voici la porte ouverte à la fin du cadre national hebdomadaire du
temps de service : « reconfigurant les métiers de
l’éducation et du professorat par une réorganisation de la
semaine type de travail, même de façon dérogatoire, afin de créer
de la souplesse et de
favoriser
le partage des rôles et des responsabilités au sein des équipes. »
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Décliner la bienveillance dans les relations : dans quel
sens faut-il entendre le verbe décliner ? S'il y a déclin
c'est bien dans les relations de l'administration avec ses
personnels.
_Organiser
la bienveillance. Répartir autrement les pouvoirs. Le rapport
parle de « déconcentration du pouvoir autrement dit une plus
grande répartition des responsabilités ». On peut se demander
en quoi consistent ces responsabilités et qui va voir les siennes
augmenter ou diminuer. Pour ce dernier cas, il est à prévoir que la
liberté pédagogique des professeurs se réduise avec le
renforcement du rôle du conseil pédagogique souhaité par le
rapport, même s'il est précisé « en tant qu'instance de
concertation ».
_
Accompagner la mise en oeuvre de la bienveillance : Dans
cette rubrique, il est question de « favoriser les
espaces de travail collectif, de co-intervention et de mise en
relation entre partenaires extérieurs et intérieurs ».
L'école est déjà ouverte sur le monde, ce n'est pas une nouveauté.
Des intervenants extérieurs y sont invités lorsque cela sert le
parcours scolaire des élèves. Mais multiplier ces interventions et
autres sorties scolaires suppose d'empiéter encore plus sur le temps
scolaire bien occupé. Les établissements scolaires ne sont pas des
forums permanents ou des agences de voyages !
Bonne
lecture !