Le
projet du « corps unique » pour les professeurs de la
maternelle à l'Université revient périodiquement dans la bouche et
sous la plume des « réformateurs » de tous bords, y
compris dans les rangs de certains syndicats. Le grand public peut
chercher à comprendre pourquoi il y a tant de « corps »
de professeurs dans notre pays. Il peut aussi s'interroger sur le
fait que c'est toujours la suppression de l'agrégation et la
disparition des agrégés qui apparaît au premier rang dans ce
projet ! Pourtant, à l'origine, il n'y avait qu'un seul corps
de professeurs en France, celui des agrégés précisément !
En 1763,
les jésuites sont chassés de France par Louis XV. Or ils assuraient
l'essentiel de l'enseignement secondaire en France. Il existait déjà
depuis 1679 un concours d'agrégation national de l'Université pour
la faculté de droit. Un concours d'agrégation de la faculté des
arts est crée en 1766 pour faire face à l'exil des jésuites. Cela
donnera tellement satisfaction que les agrégés resteront le corps
unique de professeurs du second degré et des classes préparatoires
jusque dans les années 1950 ! La revendication du corps unique
n'est donc pas une avancée souhaitée par ses promoteurs mais une
réalité... du passé ! A cette époque, l'explosion des
effectifs dans les collèges et lycées impose la création du
CAPES : certificat d'aptitude à l'enseignement secondaire,
concours dont les lauréats forment le corps des certifiés. Ces
professeurs sont devenus largement majoritaires dans l'enseignement
secondaire depuis puisqu'ils représentent 74% du personnel
enseignant en lycées. Les agrégés exerçant essentiellement dans
les classes à examen des lycées, leur service a été fixé à 15h
de cours hebdomadaire par les fameux décrets de 1950, alors que les
autres professeurs devaient 18h de service. Quelle est la raison de
cet écart de service, « dénoncé » plus ou moins
ouvertement et périodiquement ces dernières années par les
partisans du corps unique ? Le fait, déjà signalé, que les
agrégés ont vocation à enseigner dans les classes d'examen et que
le travail dans ces classes exige du travail personnel
supplémentaire. Cette exigence se traduisant par une durée moindre
de service. Il ne s'agit donc pas d'un avantage indu et exorbitant !
Or avec le temps, les certifiés se sont vus confier tous les niveaux
d'enseignement, y compris depuis quelques années les classes
préparatoires, confiées auparavant aux seuls agrégés. Cette
indifférenciation des tâches a été prise comme prétexte par
certains pour justifier un alignement du service des agrégés sur
celui des certifiés. A travail égal, horaire égal pourrait-on
logiquement conclure ! L'étape suivante étant le salaire égal
dans l'esprit ce ces « réformateurs »... Mais c'est bien
l'état qui a organisé lui-même cette indifférenciation des tâches
confiées aux professeurs alors qu'il devrait employer au plus haut
niveau possible les compétences des agents qu'il a recruté !
C'est exactement l'inverse qui s'est produit. Le niveau de
l'enseignement secondaire actuel est bien en deçà de ce que peuvent
enseigner les professeurs les plus qualifiés dans leur discipline.
On appréciera cette gabegie de moyens à sa juste valeur en ces
temps de crise !
Restaurer
un enseignement de qualité dans le second degré représenterait un
meilleur investissement pour l'avenir que de vouloir se débarrasser
des agrégés et de l'agrégation. Mais voilà, il faudrait rompre
avec plus de trente années de mauvaises habitudes, notamment celle
de brader le baccalauréat dont la possession, quasi automatique pour
tout lycéen entrant en seconde aujourd'hui, n'assure en aucun cas le
succès dans l'enseignement supérieur.
Loin de
défendre des « privilèges » ou de cultiver un esprit
corporatiste, la plupart des agrégés souhaitent défendre et
promouvoir un enseignement de qualité à l'heure où la
mondialisation met en concurrence les systèmes éducatifs pour
attirer les meilleurs étudiants. Amoindrir encore notre situation
serait envoyer un très mauvais signal à des jeunes brillants qui
souhaitent rejoindre la profession !